Francois Ndong Obiang face à la presse , l’intégrale : « Dans toutes les institutions, en science politique, il y a toujours des moments de balbutiement »

Face à la presse nationale et internationale, le 29 janvier, le Vice-président de l’Assemblée nationale de transition et ex président de la plate-forme Alternance 2023, Francois Ndong Obiang a tenu à lever toute équivoque sur un musellement de la classe politique. Cet exercice, premier du genre, pour un parlementaire, a permis aux journalistes de poser, sans tabou, toutes les questions en rapport avec l’actualité.

Quatre mois après le début de la transition, quel bilan faites-vous ? Et, au regard de la trajectoire que prend cette transition, êtes-vous toujours satisfait ?

Le bilan, il est positif. Quatre mois , c’est peu, après 56 ans sous un régime capéé par la dictature voilée, surtout que les 14 dernières années ont été des plus lugubres. Quatre mois, c’est très peu . il y a dans ces 4 mois, l’apprentissage des acteurs, la volonté de vouloir résoudre des choses, peut-être un peu précipitamment. Mais beaucoup de choses ont été faites, le reclassement des fonctionnaires, la retraite, les bourses, l’aménagement du réseau routier. D’autres mesures ont été prises pour le pouvoir d’achat. Les attentes sont nombreuses, parce que le pays est dans un état catastrophique. Il n’y a qu’à regarder, nos voies s’écroulent parce qu’on a passé douze ans sans entretien. Le chantier est vaste. Le bilan en 4 mois, je peux dire qu’il est positif. Et je suis également satisfait de la trajectoire que prend la transition. Je suis toujours dans l’idée que les grandes lignes ne se sont pas encore déplacées. Il s’agit de mettre à plat les Institution, les refonder. Dans toutes les institutions, en science politique, il y a toujours des moments de balbutiement. Donc, il faut l’admettre, la trajectoire n’a pas bougé. La colonne vertébrale de la transition est intacte. Maintenant, les à coté peuvent laisser droit à certains commentaires. Mais on va pouvoir les réviser. Vous avez vu qu’en très peu de temps, on a eu un remaniement ministériel. Les choses vont bouger. Au fil du temps, on constatera les carences.

On a comme l’impression, aujourd’hui que tous les acteurs politiques semblent parler le même langage. Est-ce que, entre vous, il y a quand même des désaccords?  

Nous avons accepté la transition. Nous avons convenu que nous ferons l'alternance avec les militaires. Et l'alternance suppose une certaine responsabilité. C'est pour ça que je vous ai dit que je me suis abstenu de bavarder, de faire des commentaires tout azimut. Il était d'abord mieux de commencer à travailler, à apprendre. J'apprends le métier de député. Je ne suis pas député. Monsieur Oligui n'est pas politique, il est militaire. Et les militaires fonctionnent différemment. Il faut le comprendre. Nous parlons le langage de la transition. Il doit être le langage de la cohérence. Mais, il va y avoir le moment des débats. Ça va être la Constituante, tous les textes nécessaires. Et là, il y aura véritablement un débat démocratique. Donc, il n'est pas question de parler aujourd'hui. J'ai même entendu, et ça m'a été reproché que le président d'alternance, le premier vice-président de l'Assemblée Nationale a la bouche pleine, il ne parle plus. Mais, par éthique, quand on apprend quelque chose et lorsqu'on vit en milieu politique, il faut savoir prendre ses responsabilités. Et puis, si on a reçu une éducation, on n'a pas besoin de parler à tout vent.

Avec la nomination d’Alexandre Barro Chambrier, au poste de Vice-premier ministre, ne craignez-vous pas que tous les acteurs majeurs de la plate-forme Alternance 2023, ne soient muselés ?

Aucun opposant n’est muselé, et n’a perdu son droit à la liberté d’expression. Mais, c’est le temps de se mettre ensemble pour trouver des voies et moyens pour construire notre nouveau Gabon. Il faut qu’on construise ensemble notre nouveau Gabon. Quelle vision voulons-nous donner à notre Gabon avenir ? Voilà la question qu’on doit se poser avec tous les politiques. Bien sûr on va faire des sacrifices. Aucun opposant n’est muselé. Et monsieur Chambrier très prochainement pourra s’exprimer librement. Vous avez d’ailleurs suivi le discours de Mme Missambo aux vœux, qui est un discours libre et très engagé. Et vous de la presse, soyez libre de toute influence et de toute mystification.

La suspicion de violation de l’article 35 de la Charte de la transition fait des émules au sein de l’opinion, à travers la nomination des ministres de la Défense et de l’Intérieur. Ce qui donne l’impression que certaines modifications sont faites à des convenances. L’inquiétude des Gabonais est d’autant plus grandes, puisque ce sont des pratiques qui ont été dénoncées sous l’ancien régime?

Il y a un recours qui a été porté à la Cour constitutionnelle, la Cour constitutionnelle n'a pas encore rendue son verdict. Attendons ! J’ai souvent le malheur de dire que je ne commente pas les actions en justice. Pour le cas Nzigou, ça rentre dans ce que j'ai lu, que le président est mal entouré. Il faut peut être veiller à corriger tout ça calmement, que des personnes lisent calmement les textes qu'ils fassent attention à ce qu'ils doivent faire. La petitesse de notre pays permet à tout le monde de penser qu'il est meilleur et qu'il est plus bon que son voisin. Hors, ce n'est pas ça la réalité. L'administration commende et impose une certaine expérience avant que d'occuper de très hautes fonctions. Je le disais déjà au temps de Bongo, on ne peut pas occuper de grandes fonctions pour lire ligne par ligne un décret. On lit l'intitulé et on signe parce qu'on sait qu'il y a des personnes qualifiées pour le faire. Mais, on veut tout faire endosser au Chef. Hors le Chef est assisté. Il faut veiller à ce qu'on soit capable d'avoir autour du Chef des personnes qualifiées, totalement aguerries.

Vous avez cité les personnes qui ont joué un role majeur pour parvenir à cette transition, mais vous n’avez pas cité , Hervé Patrick Opiangah. Et pourtant, nous l’avons vu à vos cotés , durant les jours qui ont précédé le 30 août.

Je tiens à préciser que Monsieur Hervé Patrick Opiangah a été un acteur important dans la mise en relation entre le CTRI et Alternance 2023. Il était l’homme proposé au service et au contact, et j’ai dû apprendre à connaître ce Monsieur, à cet instant-là. Mais, j’ai pu comprendre en le fréquentant, tout en étant de la majorité présidentielle,  de l’idée, qu’il était convaincu, qu’il fallait maintenant passer à autre chose. Je me souviens que des membres de son parti politique sont venus voir RÉAGIR, parce qu’ils avaient fait un appel au report de l'élection. Son parti politique était le seul de la majorité à l’époque qui avait fait cette démarche. Nous l’avons écouté et maintenu que nous irons aux élections coûte que coûte, contre le bulletin inique. C’est le lieu de rappeler que Monsieur Hervé Patrick Opiangah a joué un rôle important dans la transition. Et d'ailleurs, en tant que ministre, il est passé devant la Commission des finances de l’Assemblée nationale pour présenter le budget de son ministère. Il l'a présenté avec beaucoup de sérieux. Les députés ont pu apprécier. Vous savez, les Gabonais jugent les autres aussi facilement. C'est certainement dû à la petitesse de notre population. Mais, ce Monsieur a fait bonne impression dans la présentation du Budget du ministère des Mines. Il a été sincère, très nationaliste, patriotique. Je considère que c'est un Monsieur de bonnes valeurs. Maintenant, il est sorti du Gouvernement parce qu'il y avait des incompatibilités. C'est tout à fait normal. Je dois aussi affirmer qu'il est temps dans la construction du Gabon que nous voulons pour demain de constituer une élite d'hommes d'affaires Gabonais. Ce n'est pas possible qu'un pays du monde vive sans nationaux ayant de l'argent en propre et n'ayant pas gagné cet argent grâce à la politique. Il y a des milliardaires au Cameroun, au Sénégal et ailleurs. Donc, il faut constituer une classe d'hommes d'affaires véritables.

On peut tout reprocher à Ali Bongo Ondimba, mais il y a une chose qu’on peut lui reconnaître, c’est d’avoir fait rayonner l’image du Gabon en matière d’environnement. Aujourd’hui, sous le CTRI, on constate que le leadership du Gabon est plus ou moins en recul. Vous, en tant que parlement que faites-vous pour que ce leadership soit maintenu?

À la vérité, c’est Omar Bongo qui a été approché et qui a accepté la stratégie expliquée par des personnes à l’époque pour nous constituer 13 réserves. Ali Bongo a fait de l’environnement un business. Je n’accepterai pas cette proclamation péremptoire de venir nous dire qu’il a réussi quelque chose. Il a fait de l’environnement du business avec pour crise morale et psychologique un écossais comme ministre de nos forêts. Un drame pour moi qui suis traditionaliste. Si le drapeau national proclame le vert, comme étant l’expression de la forêt, on doit considérer que c’est un domaine régalien réservé aux nationaux initiés. Il y a eu beaucoup d’argent, et je crois que les audits qui vont être faits, vont démontrer l’évasion financière qu’il y a eu autour de l’environnement. D’ailleurs, à l’arrivée du CTRI, les écogardes étaient à 5 mois de salaire impayé. Le nouveau régime a essayé de soulager cette dette. Nous allons continuer la politique de l’environnement. Mais de manière un peu plus rationnelle et non politique.

Plusieurs faits sociaux qui ont eu lieu sous Ali Bongo sont susceptibles de donner lieu à des enquêtes parlementaires, le cas de Mboulou Beka, l’attaque du QG de Jean Ping, l’affaire Esther Miracle, l’affaire Glen Moudendé, les conditions incarcération à la prison centrale et le rapport Covid-19. Qu’est-ce qui justifie le mutisme de l’institution sur ces faits ?

Si vous m’avez bien suivi dans mon discours, il faut passer par le réconciliation qui exige une vérité. Pour prendre une loi d’amnistie, il faut d’abord trouver les coupables. Mboulou Beka, le QG de Ping, la tombe de mon grand-père Mba Germain, tout ça, le Gabon un jour doit s’asseoir pour en parler. Il y a des choses qu’on doit réveiller, qu’on doit dire pour amener la paix des esprits. Une commission vérité et réconciliation va être mise en place pour parler de la vérité. On ne peut pas continuer sur de grands mensonges. Aucun pays, aucun État ne s’est construit sur du mensonge. On ne peut pas refonder les Institutions, si on ne passe pas par l’établissement de la vérité. Mais, il faut le faire sans rancune, sans invective, sans idée de revanche, dans un apaisement.

Quel est votre commentaire par rapport à la polémique autour de la nomination de l’époux du ministre de la Communication, Mme Laurence Ndong au poste de Directeur général de la SPIN ? Vous, qui êtes acteur de l’ancienne opposition, est-ce qu’il n’y a pas là une forme de népotisme, lorsqu’on sait qu’elle était chantre de l’opposition qui décriait les errements de l’ancien régime Bongo?

Ça rentre dans les mœurs et dans la petitesse de notre pays. Vous êtes 2 millions d'habitants, si vous visitez tous les ministères et toutes les Institutions, vous trouverez des parents, des personnes qui sont à la tête de ces Institutions. Je n'ai pas personnellement étudié le dossier. Mais je me refuse toujours de traiter de la qualité des personnes. J'ai appris par vos milieux et par certaines déclarations que ce Monsieur est diplômé des Télécom. S'il est diplômé des Télécom et qu'il est nommé dans un secteur des télécoms, je vous le dis clairement, il est en adaptation avec son domaine. Maintenant qu'il soit l'époux d'un ministre. J'ai envie de dire et là je pèse mes mots cela ne saurait faire obstacle. L'époux d'un ministre doit pouvoir travailler. Il devrait être nommé, mais à condition qu'il soit compétent. Ça se voit, même ailleurs.

À la surprise générale, Marie-Madeleine Mbourantsuo, l’ex-présidente de la Cour constitutionnelle sous le régime déchu d’Ali Bongo a été élevée présidente honoraire de cette Institution. Qu’est-ce qui justifie cette décision, alors que toutes les Institutions ont été mises à plat et qu’il est question de restauration?

Le juriste que je suis recherche toujours la base légale. Nous avons mis à plat toutes les Institutions. ça veut dire qu’aucune Constitution, aucune loi Organique n’est à la disposition des juges constitutionnels actuels pour honorer un des leurs. Sur quoi se sont-ils fondés ? La Constitution et la Charte sur lesquelles reposent les Institutions actuelles ne reconnaissent pas la Cour constitutionnelle, parce que, en 1991, la Cour constitutionnelle n’existait pas. Elle est venue après. Si on doit faire vivre la Cour constitutionnelle comme elle vit actuellement, cela ne peut se faire que sous la base de la Constitution qui l’a fondée et de la première loi Organique qui a été prise à cette époque là. Et je suppose que cette loi Organique de 1993 ne soumet pas l’honorariat à un de ses membres. Maintenant, on quitte le droit, on va à l’esprit de la lettre. L’esprit, c’est que les juges constitutionnels auraient du s’abstenir pour le moment et on attendrait la fin de la transition pour honorer les juges qu’il faut.

Quelles sont les forces et les faiblesses de cette transition ?

Dans toute activité humaine, il y a des forces et des faiblesses. Les forces, restent cette volonté commune entre les militaires et les politiques de vivre la transition. Et même le peuple Gabonais lui-même, veut vivre la transition et surtout ce qu'on va y faire. L'engagement populaire est là. L'engagement des politiques est là. Les faiblesses sont humaines. Nos comportements, nos ambitions où chacun veut nommer le parent, le membre de son village. Le président Oligui qui, en lui-même, est une transition parce que ce Monsieur est né de deux parents distincts de manière éthique. Il reçoit toutes ces pressions, que ce soit du côté paternel, maternel, du CTRI, d'autres domaines. Les faiblesses, elles sont d'ordre humaines.

Il y a une mesure qui dure depuis le début de la transition, notamment celle du couvre-feu. Comment est-ce que vous vous positionnez par rapport à cette mesure ?

Oui, au tout début, il était à 18h. Je suis de ceux-là, en conversation avec le président à l'époque, en tant que président d'Alternance 2023, qui avait demandé de relever l'heure. Le président Oligui a consenti à relever l'heure. Nous sommes passés à 20h. Nous avons encore travaillé. Nous sommes à minuit. Donc, il n'est pas placé pour de la fantaisie. Il y a des alertes nécessaires qui nous imposent encore de maintenir le couvre-feu. On peut vous garantir qu'on ne va pas passer l'année 2024 sous le couvre feu. Il faudra bien le lever après la mise en place de tous les éléments de sécurité pour le bien de notre territoire. Et puis, je dis franchement, ceux qui sont partis ne sont pas contents. Il faut veiller à la sécurité du pays et il faut veiller à ce que tous ceux - là qui ne sont pas contents de la transition, ne nous mettent pas les bâtons dans les roues.

Conférence de presse